Jean Parvulesco about Le temps de ceux qui sont élus

CONTRELITERATURE. NUMÉRO 4 AUTOMNE 2000.
Jean Parvulesco. La confirmation boreale. Investigations. Paris, Les reflexives Alexispharmaque, 2007, pp 69-77.

 La contrelittérature frappe à l’Est
JEAN PARVULESCO

 

Le temps de ceux qui sont élus… Est-ce enfin le nôtre? Laissons à Jean Parvulesco le soin de nous le dire. Mais si le lieu de l’élection sera nécessairement contrelittéraire, le vent de la contrelittérature, lui, souffle où il veut… Et singulièrement en Roumanie, où le “Temps de ceux qui sont élus “se dit Timpul celor alesi. C’est le titre d’un roman de Mirela Roznovéano que Jean Parvulesco a lu pour nous.

JE SUPPOSE QU’ON L’AURA DEJA COMPRIS. L’HORIZON A L’INTÉRIEUR DUQUEL SE POSE DéSORMAlS, ET DE PLUS EN PLUS ACTIVEMENT, LE CONCEPT DE CONTRALITERATURE, NE SAURAIT EN AUCUN CAS SE REDUIRE À CELUI DE LA SEULE LITERATURE FRANCAISE. LES OBJECTIFS DU COMBAT, CLAIREMENT ARRETÉS, DE LA CONTRELITÉRATURE CONCERNENT TOUT L’ENSEMBLE DES ACTUELLES LITTÉRATURES GRAND EUROPÉENNES OUI, À L’HEURE PRÉSENTE, SE TROUVENT ENQAGÉES DANS L’ENTREPRISE ONTOLOGIQUEMENT RÉVOLUTIONNAIRE DE CEUX OUI ONT PRIS LE PARTI DU RETOUR FINAL À L’ÊTRE. D’UNE CONTRE-OFFENSIVE À LA FOIS TOTALE ET TOUT À FAIT DECISIVE CONTRE LES CONJURATIONS DU NOM-ÈTRE ACTUELLEMENT AU POUVOIR, CONTRE LES DOMINATIONS ALIÉNANTES ET LA TERREUR DES INTERDICTIONS PERMANENTES DE PENSÉE ET D’EXPRESSION QUE CELLES-CI EXERCENT DEPUIS LONGTEMPS DÉJÀ SUR LA MARCHE DE L’HISTOIRE EUROPÉENNE DU MONDE, SUR L’ÊTRE MEME DE LA LIBERTE EUROPEENNE.

Aussi le problème des affirmations présentes de la contrelittérature se pose-t-il exclusivement entre nous autres, à l’intérieur de notre propre camp retranché, le camp du combat grand-européen pour le retour à l’être, et ne saurait donc nous concerner que nous autres, mobilisés comme nous nous trouvons en première ligne par l’épreuve finale de notre commune prédestination révolutionnaire. Épreuve finale qu’il nous faut à présent assumer, tragiquement, d’une manière plénière, crucifiée comme nous nous trouvons tous, personnellement aussi bien en tant que communauté de combat que génération prédestinée, au-des- sus des précipices sans fond de l’actuelle confrontation suprêmement décisive de l’être et du non-être, sur la ligne de rupture de deux mondes ontologiquement antagonistes irréductibles.
    Le camp de la contrelittérature qui n’est autre que celui de l’impérialisme ontologique de l’être, impérialisme originel, archaique, en appelle donc, aujourd’hui, à nouveau, à l’espace propre du développement historique de la conscience originelle de l’être, à l’espace grand- continental européen, l’espace eurasiatique des commencements, retrouvé par nous, encore une fois dans son ensemble, ou secrètement en voie de l’être; et cet appel mobilise, en les sur- activant de l’intérieur, toutes les littératures de conscience et d’expression grand-européennes vouées au renouvellement abyssal du nouveau grand cycle suprahistorique, impérial et polaire, qui s’annonce à l’horizon de nos attentes encore inavouables.
    Les zones d’intervention souterraine provocatrice et de reprise en main, d’investisse- ment foncier de l’action contrelittéraire de pointe vont ainsi devoir Suivre de près les délimitations géopolitiques intérieures, les zones de mainmise du projet de l’Empire Eurasiatique de la Fin, projet qui recouvre à nouveau l’espace de l’émergence originelle de la conscience européenne de l’être: l’Europe de l’Ouest, l’Europe de l’Est, la Russie et la Grande Sibérie, l’Inde et le Japon.

DE QUELS BUTS DE SAUVEGARDE SECRÈTE

    C’est la raison pour laquelle je voudrais m’arreter aujourd’hui sur une œuvre contrelittéraire des plus exemplaires en provenance de l’Europe de l’Est, l’oeuvre d’avant-garde d’une jeune romancière roumaine, Mirela Roznovéano. Il s’agit d’un roman qui vient de paraitre, à Bucarest, aux Éditions Univers, Le temps de ceux qui sont élus (Timpul celor alesi). En effet, peu d’écrits européens d’aujourd’hui peuvent se prévaloir de leur entière appartenance à la contrelittërature en action autant que ce roman de Mirela Roznovéano : on y trouve, comme on le verra, non seulement la doctrine – dodécaphonique en quelque sorte – de cette appartenance, clairement et même exhaustivement exprimée, mais le roman lui-même n’est en fait rien d’autre que le compte rendu de l’existence conçue — i’l s’agit des existences supérieures – comme une expérience contrelittéraire, la littérature véhiculant – en tant qu’expérience littéraire – l’existence supposée réelle de ses personnages en action, existence qui, tendue en permanence vers un au-delà secret de l’existence immédiate, n’en finit néanmoins plus de retourner à la littérature, la part de mémoire vécue de la romancière dédoublant elle-meme le roman elle-même le roman par la réalité, et cette réa-lité elle-même prouvant ainsi qu’elle n’avait eu d’autre fin qur de furnir sa substance chiffrée au roman.

Ainsi le roman de Mirela Roznovéano, Le temps de ceux qui sont élus, apparait-il comme étant le territoire expérimental d’une approche révolutionnaire, renouvelante et tout autre, de la dangereuse aventure qu’est à chaque fois l’engagement dans les voies propres de la contrelittératur, de la littérature au-delà de toute littérature. On détient, avec celui-ci, une entrée certaine vers le noyau polaire des nouvelles littératures grand-européennes ayant subi l’appel occulte des grand recommencements.

   Et ce vertige tournant sur lui-meme allant très loin, jusqu’au bout. Jusqu’à ce que la réalité devienne elle-même roman, et le roman, lui, réalité. Réalité finale, seule réalité, parce que dedoublee, par en dessous, par la réalité que le roman s’est approprié, qu’il a expropriée jusqu’à ce qu’il n’en reste plus rien, et ce rien lui-même happant au passage le non-dit du roman, ses espaces de dissimulation en meme temps que de respiration ontologique propre, ces trous dans la glace de la fause réalité qu’il pousse en avant, de quelle manière traitresse. Divinisant, même.

LES TROIS NIVEAUX DU RÉCIT

   Après avoir traversé tant bien que mal, écartelee en elle-même, la longue et terrifiante saison communiste de la Roumanie, Mireia Roznovéano vit actuellement aux États-Unis où elle enseigne à l’Université de New York. Dégagée de ce passé-la.
    Mais ce n’est pas du tout, comme on pourrait le croire, sa rencontre avec la liberté qui a déclenché en elle l’ouverture assomptionnelle envers les pouvoirs et le mystère de la contrelittérature active. Le processus de la création, toute influences occultes mises en jeu, est né en elle dans les termes d’une opposition clandestine, résolue, inconditionnelle et désespérée, du temps où sans qu’elle ne puisse aucunement réagir, elle subissait au tréfonds d’ellememe l’oppression du régime communiste, destituante, jour apres jour. Son écriture s’en ressent-elle? Certainement, encore que d’une manière fort peu ostentatoire, son centre de gravité étant ailleurs pas du tout politique. Paradoxalement, la politique, là, n’y est pour rien.
Son roman organise ses agencements intérieurs autour de trois niveaux différents du recit, don’t je parlerai séparément, qui se répondent entre eux pour établir, par réverbération intime, l’espace propre de ses développements, de son affirmation d’ensemble; qui postulent une unité reconstituée, l’unité même de la vie et de ce qui parfois porte la vie au-delà de la vie.  Trois niveaux d’existence.
     Le premier de ces trois niveaux différents du récit est constitué par la dénonciation, plus ou moins voilee, de l’action permanente de deux personnages que l’on pourrait appeler mythologiques, alors qu’en réalité ils participent – d’une manière directe, plénière – d’une réalité, d’une surréalité même, ontologique, tout à fait certaine, ‘pas du tout mythologique, ni illusoire’, un couple d’anciens dieux – et actuels aussi bien, parce qu’éternels, immortels – ou soi-dissant tels : un certain M. Constantinesco alias Konstantinos et une jeune femme fort riche, intelligente, d’une beauté éblouissante, étrange, fascinante, nommée Fausta; italienne, à ce qu’il paraitrait. Ils représentent donc, ces deux-ci, un couple de dieux – dans le sens antique du terme – dissimulés parmi les humains, comme si de rien n’était, où ils agissent a leur guise, parce qu’ils en ont pris l’apparence et ont su faire semblant d’avoir entierement épousé les préoccupations secretes, les délires et les songes les plus inavouables, toute la mentalité. Des dieux, au premier d’abord, d’un niveau assez subalterne mais qui, en y réfléchissant mieux, apparaitront tout de même comme des dieux – voire meme les dieux suprêmes, Jupiter lui-meme peut-être, et Vénus. Ils vivent secretement dans un temporalite totale – allant de leurs souvenirs du temps de l’empreur Tibere jusqu’à l’époque présente, en passant par la cour impériale de Byzance, et ensuite, plus tard, par celle des Sultans etc. – et disposent de pouvoirs cosmiques inconditionnels sur le temps et l’espace, qu’ils utilisent pour surveiller et conduire l’humanité suivant un desein incomprehensible, occulte, infiniment insaisissable, mais dont on finira quand meme par comprendre les tenants et les aboutissants.
    En effet, dans le roman de Mirela Roznovéano,  Konstantinos et Fausta semblent ‘être donné la mission de préparer, sur une tranche d’une dizaine d’années, le devenir initiatique supérieur de deux personnages clefs de celui- ci, Maria Margaritesco et Dimitri Vtzanti, qu’ils savaient destinés l‘un à l’autre depuis toute éternité  et dont la rencontre nuptiale finale, et “accomplissement de leur grand amour predestine, devaient avoir des conséquences insoupçonnables pour l’actuelle marche de l’his- toire, pour le devenir actuel du monde, établissant, dans tes profondeurs, comme un ébranlement sismique, comme un premier mouvement secret de redressement ontologique de l’humanité, à l’heure présente en crise, engagée dans un vertigineux processus de déchéance finale, prisonnière des puissances négatives du non-être. Le deuxième des trois récits principaux constituant la substance vive du roman de Mirela Roznovéano, concerne l’historial aussi détaillé qu’épouvantable et fascinant des manigances internes, essentiellement criminelles mais sachant bien le cacher, d’un groupe

En dernière analyse, le roman de Mirela Roznovéano va-t-il donc se laisser surprendre comme étant un mystère moderne dans le sens où l’on parlait de religion à mystères? Dans l’actuelle situation d’un monde en perdition, en phase terminale, seule peut encore sauver I ‘humanité, déjà condamnée, une intervention divine, effectuée depuis l’extérieur de ce monde et de son histoire en cours. Mais les dieux eux-mêmes, pour qu ‘ils puissent y intervenir — ce qu’ils ne sauraient faire directement, de par eux seuls–, ont besoin de la complicité eschatologique des humains.

relativement important de personnages appartenant à l’élite intellectuelle du régime communiste installé en Roumanie, du temps plus particulièrement de l’ère de Nicolas Ceausesco. Ce groupe de personnages se manifeste autour de l’Institut de linguistique générale de la Faculté de Lettres de Bucarest, où apparait aussi Maria Margaritesco qui avait tenté passer un doctorat de linguistique, pour se trouver par la suite prise dans un tourbillon fatal lui ayant fait frôler la mort – la première fois lors d’un faux accident de voiture, en fait une tentative d’assassinat politique, et la deuxième fois lors d’un internement abusif dans un des hôpitaux psychiatriques à la disposition de la police politique du régime où celui-ci réglait clandestinement ses comptes- et dont elle n’arrive à se débarrasser qu’à travers la mystérieuse intervention de Fausta.
    Parmi bien d’autres y apparaissent aussi un diplomate de haut niveau, Popa, et sa femme Ariane ; Popa, étant un important agent à couvert du ‘Service d’Information Extérieures’ qui sera appelé à mettre en scène son propre assassinat final, afin de pouvoir ainsi disparaitre de la circulation, devenir quelqu’un d’autre, pour mieux pouvoir poursuivre ses nouvelles affectations (‘une très importante mission de renseignements en Extrême-Orient, au Moyen-Orient et en Amérique du Nord’), le tout dans le cas d’une mystérieuse opération spéciale.

 Les mouvements d’approche des centres du pouvoir secret, les manigances en cours et les rapports de forces dans l’ombre, les manipulations souvent mortelles, les longues discussions politiques et intellectuelles de ce groupe de a puissants supérieurs du régime soviétique alors en place, constituent donc, en fait, la substance même, la trame de fond du roman. Mais en réalité, autant de psychopathes avancés’ dangereux, que ces a ‘puissants supérieurs’, secrètement déstabilisés dévastés par les exigences convulsionnaires d’un régime aux buts inhumains, obscurs, dont la seule légalité reconnue était celle de l’illégalité active permanente, totale, que ceux-ci ‘arrogeaient dans l’exercice de leurs tâches stratégiques souterraines. Cependant, ce démontage des sphères politiques supérieures du régime communiste n’y présente qu’un intérêt de diversion, établissant l’horizon à l’intérieur duquel s’y passent les autres choses, vraiment décisives, vraiment caches. Encore une fois malgré les apparences, la politique est, en fait, pour rien, ou Presque. Le vrai niveau de ce roman est d’un ordre exclusivement transcendantal.
    Enfin, le troisième niveau intérieur de ce roman de rupture et de surélévation concerne son ‘couple nuptial’, Maria Margaritesco et Dimitri Vizanti, celui-ci exprimant d’ailleurs aussi, bien assurément, une puisante dimension autobiographique, à la fois sans doute directement existentielle etsymbolique, du parcours personnel de l’auteur, de Mirela Roznovéano elle-même. Aussi la rencontre amoureuse finale du couple nuptial, ayant lieu après une dizaine dannées d’aveuglement réciproque, d’errances, d’attente inconsciente, rencontre ayant eu lieu au somptueux manoir de Fausta, près de Bucarest, qui ravait en quelque sorte mis à leur disposition, préside un des nœuds paroxystiques du roman, la clef de voûte de tout l’ensemble.
     Enfin, encore quelques années après, avant réussi à s’évader de la Roumanie communiste – ou bien déjà après la chute du communisme – le couple nuptial de Maria Margaritesco et Dimitri Vizanti réapparait en Italie, au bord de la mer Tyrrhénienne, sur la plage en face de la Grotte de Sperlunga qui avait été si chère à l’empereur Tibère. Or, à paroles d’amour excitées quelque peu folles répond, avec peut- être une certaine ironie, celle de Konstantinos et de Fausta, qui les surveillent, depuis l’invisible dans leurs jeux amoureux parmi les rochers éclatés, les pieds dans l’écume de l’eau montante. Un cycle se referme, qui avait déjà accompli la mission occulte, abyssale, qu’il avait portée en avant. Entre eux, sous leur tente qu’ils venaient de rejoindre, veillait la superbe rose mystique, illuminant l’air autour d’elle, comme une flamme brûlante, inextinguible. Et ce cycle qui se referme, donne sa fin au roman, de même qu’il avait signifié la fin de la mission secrète, en ce monde, de Konstantinos et de Fausta: faire que la flamme de l’amour revive dans un monde qui avait été sur le point de se perdre définitivement.
   En dernière analyse, le roman de Mirela Roznovéano, Le temps de ceux qui sont élus, va-t- il donc se laisser surprendre comme étant un mystère moderne dans le sens où l’on parlait de religion à mystères? Dans l’actuelle situation d’un monde en perdition, en phase terminale, seule peut encore sauver l’humanité déjà condamnée, une intervention divine, effectuée depuis l’extérieur de ce monde et de son histoire en cours. Mais les dieux eux-mêmes,

Le camp de la contrelittérature qui n’est autre que celui de l’impérialisme ontologique de l’être, impérialisrne originel, archaïque, en appelle donc, aujourd’hui, à nouveau, à l’espace propre du développement historique de la conscience originelle de l’être, à l’espace grand-continental européen.

pour qu’ils puissent y intervenir – ce qu’ils ne sauraient faire directement, de par eux seuls–ont besoin de la complicité eschatologique des humains. Ainsi Maria Margaritesco et Dimitri Vlzanti avaient-ils été choisis par ‘Konstantinos’ et par Fausta, par les dieux supremes chargés de cette tache d’urgence fatale pour que longuement mis l’épreuve, instructés par eux dans le plus grand secret et bénéficiant, au depart, de leur propre prédestination nuptiale divinisante, ils puissent prendre sur eux de ranimer en ce monde le feu de l’être qui s’y était éteint. Et cela, de par le renouveau cosmique provoqué par leur propre accession finale au feu de l’amour retrouvé, qu’ils eussent su retrouver et ranimer en eux, abyssalement, à l’heure prévue; ainsi, d’ailleurs, qu’ils avaient été amenés à le faire.
    Le sujet central, voile, du roman de Mirela Roznovéano se montrera-t-il donc, à la fin, comme un sujet fondamentalement eschatologique, celui du salut et de la libération, au dernier moment, d’un mondesur le point de se perdre, de s’engouffrer dans le néant? Le mouvement intérieur de ce roman apparait ainsi comme identique au mouvement directeur de la contrelittérature engagée dans le combat final pour le retour à l’être.

LES MULTIPLES PLANS DU ROMAN ET LES MYSTÈRES DE L’IMMÉMOIRE

Mais les trois niveaux de base de ce roman s’y trouvent également multipliés par des importantes citations du roman initiatique de Maria Maragaritesco, qui traite des relations amoureuses de Marie Madeleine et de Jésus de leurs attractions de leurs profonds et brûlants secrets.
Ainsi que par le récit des vies antérieures, en termes de dédoublements et de transmigrations, dont Maria Margaritesco se souviendra suivant les remontées de sa mémoire profonde, de son immémoire. quand elle revit ses aventures de jeunese – d’autres jeunesses d’autres vies – dans montagnes sauvages de la Macédoine du début du siècle, ainsi qu’en bien dautres circonstances analogues.
     Cette doctrine du roman à foyers d’attaque multiples sera examinée par Fausta de la manière suivante: ‘Pour chaque nœud tensoriel du roman, que l’on écrive cinq, six et meme plusieurs variantes encore. Le lecteur va prendre, en lisant ramification qui lui plait le mieux, qui lui convient le plus, son choix étant facilité par la matière de son expérience elle-même, par la matière du roman, parce que le roman, Messieurs, sent de par lui-meme, n’est pas du tout chose inerte. ‘ Et aussi: ‘Au fond, moi, ce qui m’intéresse, ce n’est pas du tout de construire un roman d’idées mais de moduler l’idée, trouver sans cesse des voies complémentaires l’une de l’autre. Les niveaux théoriques superposés vont ainsi offrir l’image même minera, par-derrière, comme un réflecteur, le champ entier de la création, de la composition, et ces dernières se trouvant ainsi être comme une clinique pratiquement inépuisable d’expériences Nouvelles.’ Le temps intérieur de ce roman étant, selon une expression de Mirela Roznovéano elle-même, un ‘temps pyramidal’ – ‘l’homme ne vit pas dans le temps, mais dans une pyramide du temps’ – ‘ce temps pyramidal’ invite a une lecture la fois éclatée et sans cesse intégrée qui définit, me semble-t-il, l’identité propre des nouvelles attitudes contrelittéraires du roman européen, une certaine direction opérative de ses recherches propres et de son actualité de pointe. Avec Le temps de ceux qui sont élus, la contrelittérature fait son entrée en force dans l’espace métaculturel de l’Europe de l’Est. “On nous suggère, écrit Mihaela Albu dans le Romanian Journal de New York en date du 12 avril 2000, que l’homme est l’etre qui, privé des puissances de la mémoire de sa race, peut subir la domination du temps et du destin. L’absence de la mémoire signifie la mort de l’esprit, qui ne laisse rien derrière. Mais paradoxalement, malgré le fait qu’ils se trouvent situés au-dessus du temps, des lieux et de la mort, les dieux tendent, aspirent, comme Hypérion, à la condition humaine.”  Vizanti se dit alors: ‘Telle est Fausta, qui veut à n’importe quel prix être semblable aux humains mais qui n’y arrive pas.’ Et ensuite: ‘Par sa vie intérieure, Maria aspire au pouvoir de maitriser le temps. Elle se souvient, et c’est bien pour cela qu’elle est choisie par les deux dieux du temps. Mais ses souvenirs ne se résument pas seulement aux moments directement vécus par elle-même, événements, lieux de son enfance. Elle retrouve aussi les souvenirs des chaines d’êtres d’avant elle-même. Maria dispose ainsi d’un double héritage génétique, ses ancêtres envoyant vers elle, du passé, le flux de leurs vies vécues et de toutes leurs experiences.’
     Ce sont en effet les pouvoirs de la souvenance transcendantale, les prédispositions à l’immémoire abyssale, qui constituent la marque décisive de ceux qui sont vraiment de la race secrètement choisie, des élus avant qu’ils ne soient venus au monde.

LA BOUTIQUE FANTÔME DE LA RUE DE RIVOLI

Or, il faudrait relever auss que l’action de ce roman se passe successivement à Bucarest, à Paris – l’inoubliable boutique fantôme de la rue de Rivoli, tenue par le fantôme de la vieille juive de Cernauti, dans laquelle it faudrait peut-être savoir reconnaitre une métamorphose de Fausta. Ainsi que l’assassinat, en plein jour, de la jeune danseuse devant les Folies Bergères – et ailleurs à Londres à Rome, à Pompéi, dans le Sud profond de l’Italie antérieure, à New York, dans les

Le temps intérieur de ce roman étant, selon une expression de Mirela Roznovéano elle-même, un « temps pyramidal » ce « temps pyramidal » invite à une lecture à la fois éclatée et sans cesse intégrée qui définit, me semble-t-il, l’identité propre des nouvelles attitudes contre littéraires du roman européen, une certaine direction opérative de ses recherches propres et de son actualité de pointe.     C’est une obligation incontournable pour le mouvement contrelittéraire actuel que de tout essayer pour que l’on arrive à la publication en français de ce roman.

Constantinople – et ensuite à Istanbul — ainsi qu’en Palestine, en Béthanie, dans les traces des pérégrinations de Jésus, ce qui inflige à l’ensemble du texte une sorte de déroulement, de tournoiement profondément onirique, ln istam dico vitam mortalem, aut mortem vitalem nescio? dit saint Augustin, Vivons-nous dans une vie mortelle, ou bien dans une mort ayant les apparences de la vie? Encore que l’extreme sensualité féminine de certaines descriptions d’intérieurs, des arbres, des fruits et des miroirs, des endroits et des personnages en action, prose au récit une réalité singulièrement ardente, vivante, immédiatement désirable, qui forcera insidieusement la participation directe, d’une manière meme, parfois qui en tient assez un travail d’hypnose: Maria, c’est un commerce hypnagogique avec la réalité.  Cette œuvre qui inaugure l’avènement – ou bien le retour -de ‘Europe de l’Est dans le camp retranché de la contrelittérature porte en elle un signe agissant d’une puissance redoutable, le signe d’une annonciation chiffrée qu’il n’est pourtant pas trop difficile de déchiffrer. Le signe même, peut-être. que nous attendions tous. C’est, à ce que je crois, une obligation incontournable pour le mouvement contrelittéraire actuel que de tout essayer pour que l’on arrive à la publication en français de ce roman. Le temps de ceux qui sont élus devient une pierre de touche des nouvelles directions à la charge de la contrelittérature.
    Je sais que, désormais tout nous est possible, que nous devons dire, avec Maria Margaritaresco, que l’on n’en finit plus de nous souvenir du « grand serpent vert védique, qui tout en avant engouffré en lui toutes les eaux de la terre, il avait suffi d’une seule flèche d’Indra pour en faire une guenille indécente.” Les forces immenses qui s’opposent actuellement à nous, désormais nous savons qu’elles ne sont qu’apparences illusoires, mesure non-pas de leur puissance fictive, de leur non-puissance ontologique, mais de notre propre impuissance du moment. Oui n’est surtout pas faite pour durer encore, qui est entrain de passer. Care “maintenant, d’autres temps viennent”.
      Nos armes secrètes, ce sont les armes de la mémoire antérieure, de notre propre immémoire abyssale retrouvée, le fait que nos retrouvailles encore clandestines avec les principes immuables de nos propres origines, avec le feu libérateur de la remontée de l’être pré-annoncée par Martin Heidegger. Car, si les temps qui viennent seront les temps de ceux qui sont élus nous n’ignorons plus désormais que le choix des élus nous concerne nous-mêmes, à la fois à titre personnel et en termes de génération prédestinée. Nous sommes les combattants de la mémoire antérieure, du Règne Antérieur.

Sitting in front of a cafe in Paris with Jean Parvulesco, Paris 2000.

Sitting in front of a cafe in Paris with Jean Parvulesco, Paris 2000.